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The Earth from Apollo 11, NASA on Flickr
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L’engin spatial de XoXo, en forme de tube de dentifrice, filait une trajectoire incendiée dans l’atmosphère terrestre, il suivait la procédure d’entrée sans faille ni heurt, lorsqu’une rafale de détonations en secoua l’arrière, endommageant une partie des systèmes de navigation. Le vaisseau, dès lors, vrilla, le pilote automatique s’affola, s’embrouilla, se mit en veille pour considérer posément la situation et XoXo, le Lolypop de la planète LOLyPOP, s’apprêta à subir le choc d’une arrivée plus extravagante que celle planifiée. Boum et boum et reboum et beaucoup d’autres boums, tous très forts, vitrifièrent la ville de Podoranginskiy, autrefois célèbre pour ses fabriques de lotion capillaire à base d’essence de perlimpinpin sauvage et des résidus après distillation de l’eau de Saint-Glinglin, breuvage réputé parmi les ivrognes les plus suicidaires d’entre nous. On s’ébahira, on en gloussera pour les narquois, qu’une civilisation aussi avancée que celle de LOLyPOP ne fabriquât pas de plus robustes véhicules, car les déplacements dans l’espace tendent au voyageur d’innombrables pièges. La placidité des Lolypops, qui n’anticipaient ni ne planifiaient jamais, expliquait cela pour une part, leur épiderme extraordinairement épais, les rendant presque indestructibles, en représentait l’autre part. L’apparence des Lolypops, du point de vue de bêtes aussi fébriles que les humains, les desservait et défavorisait une rencontre centrée sur l’hospitalité ; en effet, le curieux se heurtait à la masse de quelques trois à quatre tonnes d’un corps marron lisse en forme de tonneau soutenu par quatorze pattes trapues sillonnées d’aiguillons acérés et qui se prolongeaient en trois griffes rétractiles d’une longueur moyenne de soixante centimètres et deux pouces, surmonté, côté antérieur, d’une tête cubique dont la base accrochait par un cou cylindrique grêlé de pointes au reste de la carcasse et qui s’ouvrait sur chacune des autres faces d’une gueule garnie de crocs prodigieux qui suintaient une bave suggérant quelque famine jamais rassasiée, le sommet, percé d’une vingtaine de cornes, courtes comme fortement aiguisées ; puis, sur le postérieur, une queue nerveuse qui balayait sans relâche l’espace et en déblayait tout, veau, vache, cochon, couvée, voiture de police.
Les Lolypops sont d’un naturel très joueur, ils s’ébrouent par groupes de cinq ou trente dans les steppes dont ils sont originaires et s’amusent à toutes sortes de frivolités, inventent des règles pour le plaisir de les changer et regardent pour très irrespectueux envers leur semblable de chercher à leurs jeux une issue qui le dévaluerait, tous fuient obstinément la victoire et leurs parties ne s’achèvent que lorsque quelqu’un en propose une nouvelle ou quand les attentions se portent vers une source plus attirante de divertissement. Le professeur Nestor Notabilis, dans une étude célèbre, Inclinationem appetitus in quibusdam vicinis ignobilis auctor galaxia, nota que cette humeur plaisante s’exprimait en outre par un goût très marqué pour l’exploration et l’invention. Lorsqu’ils ne s’égaient en quelque récréation, les Lolypops apprécient tout particulièrement de se prodiguer mutuellement d’intenses câlins et cajoleries, dont ils raffolent. Leur cuir si coriace, s’il les protège efficacement, interdiraient tout plaisir sensuel sans toutes ces quenottes et cartilages pointus qui les bardent et qui leur permettent de se gratouiller et se mordiller et se peloter gentiment.
Les gens en uniforme, autour de XoXo, jugeaient quant à eux son éradication nécessaire et s’y employaient. Leurs armes n’y suffisaient toutefois pas. XoXo entreprit de visiter cette planète fort jolie, malheureusement habitée par de frénétiques créatures qui se précipitaient en tous sens et se ruaient contre ses flancs et volaient furieusement au-dessus, autour, partout, avec une insistance irritante. Voici donc : les peuples des nations ne s’entendirent pas, leurs armées s’engagèrent violemment dans la lutte contre le supposé envahisseur extraterrestre, la cohue fut telle que les divers protagonistes, sans efficacité contre XoXo, infligèrent aux troupes d’autres bords des pertes significatives, les esprits s’échauffèrent vite dans un monde qui s’armait massivement depuis si longtemps, les dommages collatéraux engendrèrent des échauffourées plus volontaires, puis des batailles bien rangées, le conflit devint total, personne n’y comprenait rien, le sang abreuva une fois encore les puissants, sans pouvoir en calmer la soif si intense. Des milliers tombèrent, puis des dizaines de milliers, qui se comptèrent bientôt par centaines, les millions s’amassèrent très vite, puis survint l’inéluctable : les amis de XoXo s’enquirent de son sort, constatèrent son naufrage et lancèrent une expédition pour le récupérer ; on opta pour un débarquement en nombre, tellement insatiable était l’appétit de découverte des Lolypops et tout le monde voulant en être. Quelle euphorie se déchaîna lorsqu’ils rallièrent XoXo, qui s’ennuyait pesamment le pitchoun, on se réjouit, on se fêta, on cavala de concert, on batifola. Les humains craignirent l’apocalypse, l’effondrement de leur empire sur le globe, ils lancèrent toutes leurs forces dans une ultime bataille, cela péta et brûla et lacéra et atomisa, les millions de victimes se comptèrent bientôt par milliards, puis par centaines de milliards, puis par milliards de milliards, un carnage qui ne s’acheva que lorsque les Lolypops regagnèrent leurs foyers pour se distraire à d’autres badinages.